Quel est votre parcours  ?

Ma famille dit de moi que j’ai su dessiner avant de savoir marcher. En 1986, j’ai 5 ans quand je gagne mon premier concours de dessin avec un portrait aux crayons de couleurs de mon lapin de compagnie. Trois ans plus tard, je peaufine cette vocation pour les arts visuels en vidant allègrement les cartouches d’encre de l’imprimante reliée au Macintosh Plus familial. Après une scolarité complétée par de nombreux cours (modelage, aquarelle, dessin académique…), j’effectue une formation de Conceptrice Multimédia à l’École romande d’arts et de communication (Eracom, Lausanne), que j’achève en 2003 avec les prix du mérite et d’excellence. Dans la foulée, je fonde mon agence graphique, Contreforme, avec mon partenaire de vie et de travail. En 2007, j’effectue une formation de 3 ans en emploi et devient directrice artistique ES en 2010, avec le prix d’excellence. Je forme en parallèle plusieurs stagiaires au sein de Contreforme, un contact qui me permet de partager ma passion pour le graphisme. En 2011, j’engage une jeune graphiste, puis, en 2016, un apprenti graphiste, ce qui me permet de me concentrer sur la direction artistique et le développement de Contreforme.

Photo © Sébastien Gerber

Comment définiriez-vous votre rôle auprès de vos élèves ?

J’aime l’aspect pratique de la formation. Au fil des exercices, j’amène mes élèves à prendre conscience de la dimension non décorative du design graphique : structurer l’information, mettre en valeur le sujet, donner à penser… J’accueille avec bienveillance la sensibilité de chacun de mes étudiants – parce que je sais à quel point on se met en « danger » dans la création – tout en les amenant à se pencher profondément sur le sens de leur création et, au fur et à mesure, sur les plus petits détails pour arriver à la perfection.

 

Que vous apporte votre rôle de formateur ?

J’aime trouver des qualités dans un travail au départ peu réussi et aider l’étudiant à se focaliser sur ces points positifs pour l’amener à améliorer son visuel. Voir un étudiant progresser au fil des travaux est une grande source de joie pour moi.

 

Quelles qualités sont essentielles pour exercer le métier de designer graphique ?

Je pense que la qualité-clé pour un graphiste est le fait de pouvoir se remettre en question. Un travail graphique est à envisager comme un processus itératif, un dialogue entre le designer et le client. Le processus veut que du foisonnement d’idées naisse un grand nombre de variantes, dans lesquelles le graphiste doit savoir trier pour revenir vers le client avec un nombre plus restreint de propositions. Le graphiste doit produire un travail auquel le client doit pouvoir adhérer sans restriction, puisque c’est l’image du client dont il s’agit. Il doit pouvoir jeter un travail dans lequel il avait mis toute sa foi et accepter, de bon cœur, de changer de direction si cela s’avère nécessaire pour coller au sens du projet. À l’inverse, il doit savoir faire la part des choses et être tenace sur des points qui desserviraient le projet. Tout cela demande d’être vraiment apaisé avec soi-même et dans son rapport aux autres, sans égo mal placé mais avec l’ambition de créer un travail aussi parfait que possible.

Quelle expérience liée à votre métier de graphiste vous a laissé un souvenir mémorable ?

Nous avons réalisé en 2016 une animation (motion design) d’une quinzaine de minutes pour le bicentenaire de l’entrée du canton de Neuchâtel dans la Confédération helvétique. Elle devait être projetée simultanément, en 2 endroits du canton, sur un écran d’eau de 30 mètres, le soir des festivités, accompagnée de superbes feux d’artifices. Nous devions partir d’une histoire écrite, dite par un acteur, qu’il s’agissait d’illustrer selon les demandes du client qui souhaitait des formes très simples et des couleurs extrêmement vives – « pop art », avait-il dit. Il nous a fallu bien des efforts d’imagination pour tenter de sentir ce que nos dessins sur Illustrator allaient donner une fois projetés sur un support aussi immense que mouvant. Les variantes ont été nombreuses car il fallait à la fois coller au récit, simplifier le langage graphique en utilisant des codes historiques, donner une cohérence à l’histoire tout en la rythmant… Le soir des festivités, après quelques nuits blanches à participer aux tests sur l’écran d’eau, j’ai enfin pu admirer le fruit de notre travail. Toute ma famille avait fait le déplacement, ainsi que plusieurs milliers de neuchâtelois, et les designs, dans leur simplicité extrême et leurs couleurs crues, semblaient tout à coup évidents.

Pouvez-vous nous montrer une de vos commandes client ou un travail personnel et le commenter en quelques lignes ?

Je vais vous raconter l’histoire du Petit Bestiaire Typographique de l’Avent. J’ai une passion personnelle pour la typographie et les couleurs, parce que ce sont des portes d’entrées extraordinaires pour décoder notre culture – et ses variations selon le lieu et le temps. Lorsque je présente un projet graphique pour la première fois devant un client, j’ai remarqué qu’il y a TOUJOURS des remarques sur la couleur : le CEO ne la trouve pas assez chic, la chargée de communication la trouve trop douce, l’équipe marketing pas assez dynamique… À l’inverse : personne n’a JAMAIS rien à dire sur la typographie. Au mieux, on la trouve « claire et lisible » (des fois qu’on eut choisi d’écrire en hiéroglyphes…). J’ai l’impression que mes clients ne manquent non pas d’intérêt pour les « polices de caractères », mais simplement de vocabulaire pour les qualifier, et de culture historique pour appréhender leurs différences. J’avais envie que cela change. Pendant la période de l’Avent, en 2017, nous nous sommes mis au défi de créer chaque jour une illustration : un animal basé sur la date dans une police de caractère différente. Et chaque jour, sur les réseaux sociaux, j’ai ainsi pu présenter une typographie, esquissant son histoire, partageant une anecdote à son sujet. Le Petit Bestiaire Typographique a été très suivi et nous avons fini par en faire une affiche.

Selon vous, quels sont les facteurs de réussite pour un élève qui entreprend une formation à distance ?

La curiosité – parfois déjà la passion – sont généralement à la base de la démarche des étudiants. Ce qui peut leur faire défaut et les freiner dans leur formation, c’est l’absence de routine. Je m’explique : définissez des plages horaires dans votre semaine que vous dédiez entièrement à la formation, tenez-vous à ces horaires avec discipline et vous irez de l’avant. Ne vous contentez pas de lire et de regarder des images de référence : faites. Créer, faites des variantes, triez, choisissez, demandez des avis, refaites, acceptez de repartir à zéro encore et encore, et ainsi vous irez loin.

022 364 86 30